Text - Congo développement non durable

Raf Custers

L'emblème des secouristes de la Kamoto Copper Company, une filiale de Katanga Mining, une filiale de Glencore (photo Raf Custers)

Cet article a été publié le 22 août 2013 sur Gresea.be sour le titre : Le développement durable testé dans les mines du Congo

En 2015 les politiques œuvrant pour le développement vont, pour ainsi dire, "changer de carrosserie". Elles adopteront une nouvelle liste d’objectifs. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement seront remplacés par les Objectifs de Développement Durable. Quels seront ces ODD ? C’est le sujet de discussions "à haut niveau". Le documentaire Avec le Vent réalisé par le Gresea interroge les concepts clés de ce débat fondamental. 

Le film explore l’industrie minière du Congo, un environnement "riche" en conflits mais aussi en illusions que nous tentons de déconstruire. C’est que nous utilisons communément et sans trop réfléchir la notion de développement durable. Le Congo, et surtout son secteur minier en ébullition continue, nous montre que la notion a ses limites. Elle est trop étroite pour fonder un développement au profit de tous.

L’élément dominant, quoique éloigné du sujet du film, est la guerre dans la province du Nord Kivu, où le gouvernement essaye d’en terminer par tous les moyens avec les rebelles du mouvement M23. Ces rebelles sont téléguidés par le gouvernement rwandais et sponsorisés dans une moindre mesure par l’Uganda, ce qui bloque l’instauration de la paix.

L’insécurité règne aussi au Katanga. La province de l’industrie minière est la plus riche du pays. Là, une tendance au séparatisme soutenue par des politiques locaux s’est greffée au mécontentement dans la population. Il y a ainsi eu l’assaut de la capitale provinciale de Lubumbashi. Le 23 mars cette ville est envahie par quelques centaines de Bakata Katanga, des combattants qui luttent pour un Katanga indépendant. Après des combats qui ont laissé plus de 30 morts, ils se sont rendus aux Casques bleus des Nations unies et ont été emprisonnés à Kinshasa, la capitale nationale.

A Kinshasa, l’opposition politique commence déjà à chauffer les esprits en vue des élections de... 2016. Elle mobilise l’opinion publique contre une éventuelle modification de la Constitution qui permettrait un troisième mandat au président de la République. Cette campagne est relayée par une bonne partie de la soi-disant "société civile".

Le développement est minier

Le gouvernement, de son côté, dirigé par le Premier ministre Matata Ponyo, a dressé le bilan de sa première année de travail, notant fin mai 2013, que ‘l’économie congolaise est encore une économie de cueillette, dominée par l’industrie extractive, qui ne peut satisfaire les ambitions de développement à la hauteur de ce grand pays.’ Une des conséquences en est que ‘l’éducation et la santé sont devenues des denrées rares.’ Pour le gouvernement, ‘la tendance doit continuer pour obtenir le maximum de résultats en termes de croissance, de réduction de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire.’ [1]

Une grande contradiction caractérise la société congolaise. Partout où l’on se rend, la pauvreté et la misère sautent aux yeux. Mais au niveau de la macroéconomie, la croissance est incontestable. Le Congo a connu une croissance de plus de 7 % en 2012 et le secteur minier en particulier croît de manière explosive.

Voici quelques données sur l’expansion remarquable du secteur. Le Cadastre minier, créé en 2003, a octroyé de milliers de ‘titres miniers’ pour autant de "carrés miniers" bien délimités. "Nous avons inventorié 679 titres qui existaient avant 2003," nous dit Chantal Lembo, directeur du Cadastre. Ce nombre a augmenté d’année en année. De 2003 à 2013 le cadastre a géré au total 12.000 titres de tout type : des permis d’exploration, des permis pour exploiter des rejets ou des petites mines et des permis d’exploitation (de grandes mines). Mais il y a eu dérives, "il y a des titres qui dorment et ça, c’est contre la loi," dit Lembo. "Maintenant le Cadastre assainit son fichier, à la demande du Chef de l’État. Quand on constate que quelqu’un n’a pas fait des travaux dans les délais ou n’a pas payé les droits cadastraux comme prévu par la loi, on retire les titres. Nous sommes donc passés pratiquement de 4.500 titres traités par an à plus ou moins 3.000 titres." (en avril 2013 – ndlr).

[Tableau - Titres octroyés par le Cadastre Minier - Source : Les Rapports annuels du Cadastre minier de 2009, 2010 et 2011]

La production minière a atteint de nouveaux records. Entre 2003 et 2013 la production du cuivre a été multipliée par dix et celle du cobalt par quatre.

[Tableau – Production, en tonnes - Sources : Services géologiques des États-Unis et du Royaume Uni - Pour les tableaux, voir l'article sur Gresea.be]

Cette expansion est essentiellement le fait d’entreprises étrangères orientées vers l’exportation. [2] Celles-ci sont venues et viennent en RDC grâce à un Code minier qui a introduit un régime d’investissement ‘accueillant’ et très libéral, en accordant par exemple des exonérations fiscales extrêmement généreuses. "Le Code minier consacre l’investisseur dans le rôle du chauffeur qui va induire le développement", dit Yenga Mabolia, directeur de Promines (une interface entre la Banque mondiale et le gouvernement congolais). "On a donc voulu faciliter au chauffeur la traversée de la route, assez rapidement, sans trop d’encombres, sans trop de policiers sur la route, pour essayer de caricaturer."

Effets induits : négatifs

Mais le développement tant souhaité ne suit pas automatiquement l’investissement. "Il reste beaucoup d’éléments négatifs," dit Yenga Mabola. Les activités spéculatives de beaucoup d’investisseurs ont déjà été mentionnées. "Ils ont pris des concessions mais sans avoir l’intention d’exploiter." dit-il. "Vous avez la faiblesse de l’administration. Cela prend beaucoup de temps pour reconstruire une administration qui a été complètement désarticulée. Et ensuite vous avez les attentes de la population : avec les soubresauts de guerres et les contraintes institutionnelles imposées par des standards internationaux, elle devient impatiente et veut jouir des dividendes."

La faiblesse de l’administration se constate dans la fiscalité. Le Congo a adhéré à l’Initiative de Transparence de l’Industrie Extractive (ITIE) dont l’objectif est de faire concorder les paiements d’impôts par les entreprises avec les montants déclarés reçus par l’État. Le Congo fait des progrès pour colmater les "fuites". Mais dans son dernier rapport (concernant 2010, publié avec un grand retard fin 2012), le pays avouait que quelque 80 millions de dollars avaient disparu. L’ITIE a ensuite suspendu le Congo du système et lui a donné jusqu’en décembre pour revoir ses comptes et expliquer l’écart.

De surcroît, l’administration n’a guère les moyens de faire respecter les lois environnementales. Barthélémy Mumba Gama, le ministre des Mines au gouvernement provincial du Katanga : "Beaucoup de sociétés, bien qu’elles aient déposé leur étude d’impact environnemental, ne respectent pas les règles. On a l’impression qu’elles traînent des pieds. Beaucoup de sociétés font cependant un effort pour se conformer aux standards internationaux". Le ministre n’en conclut pas que les autorités doivent s’en prendre à elles-même. "L’administration qui veille à l’application stricte des règles est tellement faible. Nous avons par exemple dans notre province un bureau chargé de l’environnement minier. Mais vous avez à peine 3-4 fonctionnaires dans ce bureau. Qu’est-ce que 3 ou 4 fonctionnaires peuvent faire face à cette multitude de sociétés minières ?"

Il s’ensuit une permissivité de fait. L’industrie minière est à l’origine d’une pollution catastrophique. Le professeur Célestin Banza Lubaba de l’Institut de Santé Publique de l’université de Lubumbashi mène une recherche de pointe sur ce problème. "Nous avons constaté," dit le professeur, "qu’il y avait une dégradation progressive de l’environnement avec pour conséquence des problèmes de santé chez les habitants". L’échelle de la pollution et des maladies qu’elle cause devient apparente à travers des enquêtes, des prélèvements et des analyses de laboratoire entreprises par les autorités et les chercheurs. "La population se plaint," dit le professeur Banza, "et elle a raison de se plaindre. Nous avons constaté que, généralement, ce sont les populations autour des usines qui sont les plus affectées. Toutes les populations qui sont à moins de 3 kilomètres des installations minières et métallurgiques connaissent de graves problèmes. A Lubumbashi, les quartiers Tshiamilemba et Kabetsha sont parmi les populations dans lesquelles nous avons trouvé les concentrations de métaux les plus élevées."

Les quartiers cités se trouvent à côté de l’entreprisé privée Chemaf. Mais, à Likasi, ce sont les installations de Shituru (appartenant à la Gécamines) qui déversent leurs eaux polluées dans les rivières et le lac Tshangalele. Ces cas sont bien connus, mais rien ne change, parce que les responsables sont "bien connectés" aux milieux politiques et à cause de l’incapacité des services publics.

Pouvoir législatif sous influence 

En 2012, le Code minier, qui régit le secteur minier du Congo, avait dix ans et était soumis à une révision. C’était d’ailleurs prévu dès le départ. L’objectif principal ? Mieux organiser le secteur et, pour les autorités politiques, faire en sorte que le pays obtienne une plus grande part des revenus de ses propres mines. La révision est censée se terminer fin 2013. Elle associe les entreprises et d’autres composantes de la dite société civile, de même que le gouvernement. La Banque mondiale avec ses agences y prête main-forte. Via Promines, elle paie entre autres les services d’un cabinet de consultance étrangère qui assiste les "parties prenantes" dans la rédaction d’un nouveau Code.

Cette révision du Code minier pourrait présenter l‘opportunité pour pallier ses nombreux défauts et sources de dérives. Mais les parties prenantes sont en désaccord sur des éléments clés et le parcours de la révision du Code est pour le moins "accidenté".

En octobre 2012, un avant-projet du nouveau Code minier met le feu aux poudres. Il prévoit que l’État imposerait dorénavant un taux de 35 % sur les bénéfices et les profits miniers (au lieu de la "contribution mobilière de 10 % sur les dividendes et autres distributions versés par le titulaire à ses actionnaires" sous le Code existant). [3] Cela n’arrange pas les investisseurs. L’entrepreneur sud-africain Mark Bristow donne voix à la résistance. Bristow est l’administrateur-délégué de Randgold. Cette entreprise exploite la mine d’or de Kibali, à Kilo Moto, dans le Nord-est du pays. Kibali produira sa première once d’or à la fin de cette année. [4]

Le mardi 16 avril 2013, Randgold invite des décideurs congolais et la presse dans le cadre exclusif de l’hôtel Memling à Kinshasa. Mark Bristow lui-même monte au podium. Nous filmons l’événement et voyons comment Bristow déclenche des coups de tonnerre. Il condamne les amendements du Code Minier envisagés par le gouvernement. Je note ses paroles. Il dit littéralement ceci : "Si on applique le nouveau Code minier proposé, nous recevrions à peine 25 % des revenus. Ce n’est pas une option économique. Les actionnaires n’investissent pas à 100 % si le retour n’est que de 25 % des revenus.’

Randgold veut que le moment de la redistribution des revenus soit reporté aux calendes grecques. D’autres entrepreneurs tiennent le même raisonnement. A Lubumbashi, Eric Monga de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC) nous dit ceci : ‘La croissance va de pair avec la patience. D’abord, il y a l’investissement, c’est-à-dire accroissement de la capacité de production génératrice de revenus. Ensuite, le revenu est redistribué. Mais avant la redistribution, il y a une période de récupération de capital. Et, c’est là que la croissance et la patience s’imposent."

Eric Monga pense que le Code minier est bon "si on l’appliquait tel qu’il est, il donnerait de très bons résultats." D’après lui, il ne faut donc "pas changer fondamentalement cette loi." Mais le monde ouvrier dit tout le contraire. Il estime que les investisseurs ont reçu un bel éventail d’avantages mais ne respectent pas la législation du travail. La plupart des travailleurs n’ont pas de contrats fixes ; les entreprises n’ont pas de conventions avec leur personnel ; elles abusent des statuts précaires, des journaliers et de la sous-traitance. Enrichi de tant de mauvaises expériences, Jean De Dieu IIunga de la Confédération Syndicale du Congo (CSC) a profondément changé d’avis au sujet du Code. "On pensait que c’était une bonne chose de libéraliser", dit-il, "mais dix ans après, nous constatons qu’on fait beaucoup de trous mais que la population s’appauvrit davantage." Pour son homologue Pierre Nestor Ngoie Kenge de l’Union Nationale des Travailleurs du Congo (UNTC) la conclusion s’impose : "Il faut reviser ce Code minier."

Un pas en avant, deux en arrière ?

La majorité politique à Kinshasa, épaulée et assistée de près par les bailleurs,ne cherche pas la confrontation. "Nous ne devons pas trop nous plaindre des sociétés minières," dit l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito. "Il faut situer la réflexion au niveau de l’histoire économique de notre pays. Le régime qu’on nous a imposé après l’indépendance était un régime qui a consommé l’investissement hérité du pouvoir colonial belge et qui a désinvesti et détruit la richesse.’" Adolphe Muzito reste donc pragmatique : "Je pense qu’il faut encourager la venue de toutes ces entreprises mais à elles seules ces entreprises ne suffiront pas. Il ne faut pas que le modèle consiste à extraire et à vendre en l’état. Il faut les encourager à transformer dans le pays pour élargir la valeur ajoutée. (...) Le secteur minier n’est pas une finalité, il est un instrument qui va nous permettre de générer les ressources de l’État pour financer les infrastructures de base et encourager le secteur agricole et élargir la base matérielle pour avoir de plus en plus une économie intégrée."

Cette vision, si modérée soit-elle, ne plait absolument pas aux chefs d’entreprises minières. La Chambre des Mines (branche de la Fédération des Entreprises du Congo) a déclaré que le nouveau code proposé constitue un "danger qui hypothèque la viabilité de l’industrie minière en République démocratique du Congo".’ [5]

La Chambre ne veut pas que l’on remanie le Code existant. Elle exige au contraire que les "clauses de stabilité contenues dans le code actuel" soient renforcées. Cela exclut toute révision de contrats iniques par le gouvernement pour les décennies à venir. La Chambre des Mines va plus loin. A ses "impératifs", elle ajoute des menaces claires. Si on remettrait en cause le Code minier existant, cela "risquerait de porter un coup d’arrêt fatal à la croissance actuelle". C’est à prendre comme un préavis de grève de la part des "opérateurs du secteur minier".

En outre, ils exigent que d’autres secteurs soient privatisés, et notamment l’électricité et les chemins de fer. Eric Monga de la Fédération des Entreprises au Katanga : "Pour qu’il y ait croissance, il faudrait que l’État fasse la même chose que ce qu’il a fait avec les mines. Il doit ouvrir ses sociétés aux privés et les privés vont y injecter de l’argent pour accroître rapidement la capacité en électricité et en transport ferroviaire". Pour les seuls besoins des entreprises bien entendu.

Tous ces interlocuteurs se retrouvent dans le documentaire ‘Avec le Vent’. Leurs propos illustrent que ceux qui détiennent le pouvoir économique ne font pas de cadeaux. Dès qu’on inclut le travail décent ou le principe que le pollueur paie ou qu’on ose parler de redistribution des revenus, les antagonismes s’accentuent. Il est bon de le savoir. Le développement, on ne le reçoit pas comme un cadeau, il faut le conquérir.

 

[1] Réformes et croissance économique : Mise au pas pour la promotion du bien-être collectif dans un esprit d’équité sociale, Primature de la RDC, 31 mai 2013

[2] Les entreprises de l’État ont été obligées de devenir des holdings et d’abandonner toute exploitation minière, ceci dans le cadre des programmes d’ajustement structurel convenus avec la Banque mondiale. La Gécamines, la plus grande société étatique dans le secteur minier, a dû licencier des milliers de ses ‘agents’ et elle a cédé les concessions les plus intéressantes à des investisseurs étrangers. Direction et cadres de la Gécamines ont résisté à cette obligation et voudraient maintenant de nouveau déployer des activités minières de grande échelle.

[3] Voir : Code minier - LOI N° 007/2002 DU 11 JUILLET 2002 PORTANT CODE MINIER, Journal Officiel n°spécial du 15 juillet 2002 ; Avant-projet nouveau Code minier - AVANT–PROJET DE LOI MODIFIANT ET COMPLETANT LA LOI N° 007/2002 DU 11 JUILLET 2002 PORTANT CODE MINIER, ministère des Mines, Kinshasa, novembre 2012

[4] Les propriétaires de Kibali sont les entreprises privées Randgold et AngloGold Ashanti (chacun à 45 %) et l’entreprise étatique Sokimo (10 %). Randgold est l’opérateur et dirige le chantier. Des travaux importants sont en cours. On creuse une mine à ciel ouvert et une mine souterraine et on construit des centrales hydroélectriques. Cela représente 2,5 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros) d’investissements. Les représentants de Randgold parcourent les sentiers du monde pour convaincre des investisseurs. A New York, ils ont annoncé que Kibali produira 73,5 tonnes d’or. C’était fin novembre 2012. En mai 2013, à la Bank of America Merrill Lynch, ils ont dit que le cours de l’action Randgold se porte beaucoup mieux que les pairs : l’action Randgold aurait gagné 92 % sur cinq ans, tandis que les actions d’autres mines d’or auraient perdu 33 % en moyenne.

[5] Révision du Code minier : la FEC propose le renforcement des clauses du code actuel, Le Potentiel, 26 avril 2013.